
Editeur :
Vertige Graphic
Collection
:
Date de publication : juin 2002
ISBN : 2-908981-62-9
Prix : 15,00 €
Noir et blanc
CLOWES Dan, Scénariste/Illustrateur |
Une ville américaine empreinte de banalité, deux jeunes filles aussi inséparables que complémentaires, il n’en faut pas davantage à Daniel Clowes pour tisser sa trame avec un don on ne peut plus circonspect.
Le premier volet (de garage) vise à nous présenter Enid et
Rebecca, acolytes en pleine phase de causticité. Les moqueries
accusatrices fusent face à l'écran, face à la vie. Derrière ce «
passe-temps » favori - entrecoupé de scènes imaginatives au cours
desquelles chaque personnage rencontré est immédiatement mué en
looser désespérant ou en détraqué - semble se tapir une véritable
peur du temps qui passe, qui remplace et repeint allégrement la
candeur de jadis...
Fin de l'adolescence, période charnière scandée par des symboles on
ne peut plus ordinaires : premières expériences sexuelles, adieux
au lycée (aucune scène à ce propos, nous supposons que ce sont les
vacances d'été) et passage du permis de conduire pour Enid,
l'extravertie, l'active, la fonceuse... qui, contrairement à la
passive et constante Rebecca, tente par tous les moyens de fuir la
monotonie ambiante. En effet, Enid s'épanouit véritablement partout
sauf dans la peau et l'endroit où elle est. Quoi de plus banal en
somme pour une adolescente si ce n'est que son observation
cinglante du monde qui l'entoure renforce sa tendance à résister
pour exister. Nostalgique d'un jouet, d'un disque ou plus
généralement d'une époque révolue, elle s'interroge puis tente de
rejoindre différents looks et lieux sans doute embellis par
l'empreinte du temps. Malheureusement, ses fantasmes sont toujours
rattrapés par un quotidien qui l'épuise de plus en plus.
Ses états d'âme semblent en effet inhérents à ses nombreuses
espérances avortées : Enid se protège comme elle peut de l'humain
derrière moult façades, rompt ou évite toute relation charnelle
avec l'Autre et, comme pour mettre en exergue ce type d'illusion,
met en place une sinistre et cruelle fourberie visant à donner un
faux rendez-vous à un malheureux barbu qui eût le malheur de
rédiger une annonce dans un journal à la rubrique rencontres.
De même, son examen d'entrée à une prestigieuse école tant prônée
par pôpa, tombe immédiatement à l'eau. S'agit-il alors d'un refus
de satisfaire la fierté du géniteur ou d'une prise de conscience
progressive supposée traduire que tout demeure inutile et vain
?
Peu à peu, les adolescentes se renferment fatalement dans leurs
bulles respectives : quand Rebecca se contente de l'humain (auquel
elle s'obstine à croire on ne sait trop pourquoi), Enid, révoltée
par l'hypocrisie et la médiocrité environnantes, semble chercher
quelque chose d'indéfinissable et de Vrai. Corps ou âme, réel ou
spirituel ? Ce type de dichotomie est ici on ne peut plus
évident.
Puis le temps passe, assez brutalement sans doute. Rebecca finit
par se lier, par amour ou plutôt par convenance, avec le timide
Josh, qui, toujours impassible, semble accepter tout ce qui s'offre
à lui, pourvu que rien ne soit « hors normes » ou trop dérangeant à
ses yeux.
Enid, emplie d'un renoncement plus ou moins élu et un brin «
schizo-névrosée », se rapproche davantage des éléments qui
découlent du non humain (séance de voyance sur une plage déserte
avec un certain Bob Skeetes rencontré quelques mois plus tôt,
traînailleries solitaires au fil des rues, etc).
L'évidence d'un univers ectoplasmique apparaît singulièrement à ses
yeux, comme un message peint et dépeint par et pour elle, et
faisant figure d'hallucination ou de nonsense pour ceux qui s'en
éloignent.
Plans capitaux, mise en relief de symboles réalistiques et strates
temporelles bien marquées, cet ouvrage avait toutes les
caractéristiques requises pour se laisser tenter par une
interprétation filmique. Ce fut chose faite il y a un peu plus de
cinq ans suite à une rencontre avec le réalisateur américain Terry
Zwigoff, incarnation du personnage de Seymour, réfugié lui aussi
dans le passé.
Car (petite et non négligeable précision), le film reste pour moi
très bon, mais bien différent de la bande dessinée dont je viens de
vous « parler ». Attendez-vous à voir apparaître de nouveaux
personnages ainsi qu'une héroïne « artiste » et particulièrement
créative. A ne pas manquer !
?